Le Chant des Ouvriers

Nous dont la lampe, le matin, Au clairon du coq se rallume, Nous tous qu’un salaire incertain Ramène avant l’aube à l’enclume, Nous qui des bras, des pieds, des mains, De tout le corps luttons sans cesse, Sans abriter nos lendemains Contre le froid de la vieillesse.

Refrain

Aimons-nous, et quand nous nous pouvons Nous unir pour boire à la ronde, Que le canon se taise ou gronde, Buvons (ter) A l’indépendance du monde ! Nos bras, sans relâche tendus, Aux flots jaloux, au sol avare, Ravissent leurs trésors perdus, Ce qui nourrit et ce qui pare : Perles, diamants et métaux, Fruits du coteau, grains de la plaine ; Pauvres moutons, quels bons manteaux Ils se tisse avec notre laine !

Quel fruit tirons-nous des labeurs Qui courbent nos maigres échines ? Où vont les flots de nos sueurs ? Nous ne sommes que des machines. Nos babels montent jusqu’au ciel, La terre nous doit ses merveilles Dès qu’elles ont fini le miel, Le maître chasse les abeilles.

Au fils chétif d’un étranger Nos femmes tendent leurs mamelles, Et lui, plus tard, croit déroger En daignant s’asseoir près d’elles ; De nos jours, le droit du seigneur Pèse sur nous tous despotique : Nos filles vendent leur honneur Aux derniers courtauds de boutique.

Mal vêtus, logés dans des trous, Sous les combles, dans des décombres, Nous vivons avec les hiboux Et les larrons amis des ombres ; Cependant notre sang vermeil Coule impétueux dans nos veines ; Nous nous plairions au grand soleil, Et sous les rameaux verts des chênes.

A chaque fois que par torrents Notre sang coule sur le monde, C’est toujours pour quelques tyrans Que cette rosée est féconde ; Ménageons-le dorénavant, l’amour est plus fort que la guerre ; En attendant qu’un meilleur vent Souffle au ciel de la terre.