Eric Freymond : « Je ne crois pas à l’art apolitique »

Eric-Freymond-silence.jpg Eric Freymond émerge sur la scène de l’art contemporain français. Le « plasticien du silence », comme les médias se plaisent à le surnommer, s’est illustré dernièrement lors d’un happening à Bruges. Plusieurs dizaines de badauds se sont attroupés autour d’un homme entouré de tambours, campé au beau milieu de la Grand-Place. Sec et nerveux, surmonté d’un taillis de cheveux blonds en bataille, le regard perçant, Eric Freymond s’est lancé dans une danse de Saint Guy qui laissait assez présager la fougue avec laquelle il allait bientôt battre les percussions. Pourtant, une fois la foule compacte, Eric a cessé ses gesticulations et s’est contenté de barrer sa bouche de l’index, dans un geste qui invoquait le calme. Les passants ont observé Eric et le silence un instant, perplexes, avant de comprendre que ce même silence était justement l’objet du spectacle et, revenus de leur surprise, de s’égailler peu à peu.

Un de nos rédacteurs était dans l’assistance ce jour là, et a saisi l’occasion de poser ses questions au trublion mutique qui monte. Entretien.

Pourquoi avoir choisi le silence comme matériau ? Un peu austère, non ?

Par accident, jeune. Je n’ai jamais eu à me demander ce que j’allais faire de ma vie. Il m’est apparu dès l’âge de onze ans, comme une illumination, que le silence serait ma voie. Ensuite, ça a été très vite, j’avais le choix entre une carrière monacale ou artistique, or je n’ai que peu de goût pour la bure et la tonsure.

Comprenez-vous que votre « vocation » puisse paraître étrange ?

Je peux comprendre, oui. Mais je le vis plutôt bien. Beaucoup de métiers sont considérés comme farfelus, pourtant, le temps montre qu’ils ont une utilité. Le chippendale, le clown ou l’avocat représentent chacun une petite roue crantée des rouages de la société (sourire). Je ne crois pas qu’il faille établir d’échelle de valeur, que ferait l’avocat sans personne pour confectionner ses chaussettes ? Je suis fier de ce que je fais, d’ailleurs, j’ai tenu à garder mes noms et prénoms, Eric Freymond, et à ne pas me travestir derrière un pseudonyme.

Quelle a été la réaction de vos proches quand vous vous êtes lancé ?

Ils n’ont pas été surpris. Ils m’ont toujours connu cette passion. Aujourd’hui j’en vis, ils n’y croyaient pas trop mais ils sont contents.

Vous prétendez avoir une collection de plus de 2500 silences, et en avoir façonné vous-même un bon millier, quid ?

Mon art se scinde en deux fragments principaux. La collecte, c’est à dire l’enregistrement de silences de natures différentes, et la création de silences de diverses factures. Je procède d’une part comme un chasseur de papillon, à ceci près que mon filet est ici un micro, d’autre part comme un sculpteur, à la différence que ma glaise c’est le vide sonore. Les deux modes opératoires ont la même finalité : montrer la richesse du silence, propriété de la nature qu’on envisage en général par défaut, comme l’absence de bruit, voir de vie. C’est faux. Le silence est une valeur positive, il contient son propre foisonnement, chaque fois différent. Je regrette que la langue française ne dispose pas de davantage de mots pour le nommer.

Votre art possède-il une dimension politique ?

Incontestablement, oui. En creux. Je ne déclame pas, j’interroge. Je ne crois pas à l’art apolitique, malgré le désir d’un certain nombre d’ectoplasmes auto-proclamés artistes de ne pas se positionner. Tout a une portée politique. On l’assumait davantage avant. Regardez Zola (son écrivain préféré, ndlr), Flaubert, les Dadaïstes, les Surréalistes, Gainsbourg. Aujourd’hui, on voudrait plaire à tout le monde, en essayant de n’offenser personne. Mais c’est déjà se positionner ! En n’affirmant pas ses positions, on manque de courage, mais on continue de se situer vis-à-vis d’un dogme dominant. Peu importe qu’on choisisse de lui tourner le dos, on ne l’annule par pour autant !

Justement, pour finir, pouvez-vous nous en dire plus sur votre sensibilité politique ?

Vous écrivez pour Drapeau Rouge non ? Disons que j’aime bien cette couleur (clin d’oeil).

Propos recueillis pas Sébastien Joubert