Alors que les questions mémorielles captivent la Chancellerie, les spécialistes de la rive sud de la Méditerranée continuent de s’opposer sur l’héritage de la colonisation. Après l’interview du professeur d’histoire à l’université de Dakar, Ibrahima Thioub, donnée au journal Le Monde, Jean-Yves Ollivier rapporte une vision différente de cette période dans son livre publié il y a quelques jours, Ni vu ni connu…
Alors que les questions mémorielles sont plus que jamais réexaminées par la garde des Sceaux, Christiane Taubira, les résolutions du Parlement ne peuvent empêcher le débat sur la colonisation de se poursuivre. Quelques jours après le diner du CRIF, où le président avait déjà fauté en 2013, on remarque que François Hollande illustre à lui seul les ambivalences sur cette période historique. En effet, à la tête du parti socialiste il affirmait que la France doit « encore des excuses au peuple algérien », alors qu’aujourd’hui il reprend la formule « ni excuses, ni repentance » car désormais « j’engage la France, je n’engage pas un parti » nous explique le responsable socialiste.
L’universitaire sénégalais, Ibrahima Thioub est également chercheur associé à l’Institut d’études avancées de Nantes et dénonce notamment le système de la Françafrique comme héritage de la colonisation. L’historien estime qu’au « moment des indépendances africaines, la France a transféré le pouvoir aux élites les plus favorables à une continuation du système colonial ». Pour expliquer les difficultés économiques contemporaines, il évoque de nouveau le « modèle colonial français, qui a investi a minima dans les colonies pour en extraire le maximum de ressources au profit de la métropole. Cela a laissé ces territoires à l’état de squelettes ».
De son côté, Jean-Yves Ollivier, l’émissaire à l’origine de la libération de Nelson Mandela, refuse cette explication simpliste. D’abord, il rappelle les différences régionales du continent en parlant d’une « rêverie panafricaine » qui attribuait à toute l’Afrique un sort commun. Souhaitant se débarrasser des affects entourant ces réflexions, il nous interroge, « y a-t-il beaucoup de faits historiques qu’on prendrait plaisir à contempler sans le cordon sanitaire du temps qui s’est écoulé depuis » ?
Lucide, il souhaite prendre du recul par rapport aux analyses moralisantes : « le colonialisme était aussi une marche – pas toujours forcée – vers la modernité et l’émancipation, par exemple pour s’affranchir des tribus esclavagistes ou pour contester la tyrannie des gérontocrates, sinon des hommes sur les femmes ». Enfin, en guise de réponse à la thèse de Walter Rodney qui fait de l’Europe la principale responsable du retard de l’Afrique, l’auteur se veut pragmatique : « si l’Afrique subsaharienne avait possédé la mitrailleuse Maxim avant l’Europe, ou la culture irriguée, l’imprimerie, l’administration fiscale, et des archives, elle n’aurait sans-doute pas été colonisée »…