Alors que la concurrence fait rage autour du rachat des célèbres villages vacances, l’ancien président du Club Med, Serge Trigano, vient d’annoncer qu’il s’associait à l’Italien Bonomi dans son OPA hostile. Soutien symbolique, le fils du fondateur du Club amène dans ses valises des promesses de futures vacances ratées tant son précédent bilan à la tête de la société est calamiteux.
L’ère « Serge Trigano », quand la machine à bonheur s’enraye
Cet été, les milliers de vacanciers qui choisiront un des 70 villages que compte le Club Med à travers le monde, sont sûrement loin de se douter des tractations financières qui agitent actuellement la célèbre entreprise au trident. Deux offres publiques d’achat (OPA) visent actuellement le spécialiste français du loisir. En mai 2013, une OPA amicale a été lancée, émanant d’un duo constitué par la société d’investissement ARDIAN (ancien Axa Private Equity) et le conglomérat chinois Fosun, déjà actionnaires du groupe avec respectivement 9, 3 % et 9, 9 % de participation.
Arrive en juin 2014 une OPA hostile signée par l’homme d’affaires italien Andrea Bonomi, lui-même actionnaire majoritaire du Club avec près de 11 % du capital. Si la proposition italienne est pour le moment la plus offensive financièrement, elle se voit enrichie d’un nouveau soutien qui est loin de passer inaperçu. Serge Trigano s’invite en effet à la table des négociations, non sans faire remonter à la surface les souvenirs de la période la plus sombre qu’ait connu le Club Méditerranée.
Fils de Gilbert Trigano, fondateur du Club Med auquel il a succédé en 1993, Serge Trigano a présidé le groupe jusqu’en 1997. Quatre années compliquées pour la société, où il aura prétendu gérer l’affaire comme un chef, promettant des profits mirobolants aux actionnaires, tablant sur des prévisions attractives, quand il ne faisait en fait que plomber les résultats de l’entreprise au hasard d’une gestion désastreuse. Il faudra que l’action de la société chute de 17 % et que le groupe accuse une perte record de 743 millions de francs en 1996 pour que les actionnaires sonnent le glas de la dynastie Trigano. L’héritier est alors débarqué du fauteuil présidentiel, marquant la fin d’une trop longue période d’amateurisme. L’OPA que mène Andrea Bonomi pour mettre la main sur le Club Med est donc l’occasion pour Trigano d’effectuer un retour fracassant à la tête du groupe, rythmé par le bruit dérangeant de ses lourdes casseroles.
Duel au soleil
L’offre de l’italien est « la plus séduisante et la plus intéressante pour les actionnaires », voilà ce que déclare Serge Trigano dans une interview donnée au JDD lorsqu’on l’interroge sur son soutien à Andrea Bonomi dans sa conquête du Club Med. L’expérience a montré à quel point Trigano savait voir juste lorsqu’il s’adressait aux actionnaires. De nouveaux horizons qui se traduiraient surtout par de nouvelles perspectives professionnelles pour l’ancien dirigeant du Club, puisqu’il se verrait proposer en cas de victoire italienne le poste de « président non exécutif ». Oui, par ce titre on peut penser que Bonomi a quand même retenu deux, trois choses du bilan de son associé lorsque ce dernier était à la barre du bateau. Donc avant de crier victoire et de commencer à saboter le bon travail qu’a effectué Henri Giscard d’Estaing depuis 2002 en réussissant à redresser l’activité de l’entreprise dans un secteur en berne, le duo devra remporter la bataille qui l’oppose au consortium Ardian-Fosun.
L’OPA amicale d’Ardian-Fosun est clairement soutenue par Henri Giscard d’Estaing ainsi que par les 400 managers de l’entreprise. Un plébiscite en interne mis à mal par l’offre supérieure de Bonomi qui se chiffre à 21 euros par action (valorisant l’entreprise à 790 millions d’euros) contre 17, 50 d’euros pour celle du tandem Ardian-Fosun avec un Club valorisé alors à 563 millions d’euros. Le prix d’achat n’est pas le seul point qui vient distinguer les deux offres concurrentes, la vision qu’elles proposent sur l’évolution du Club Med est également sujette aux comparaisons tant elles prennent des chemins différents.
Le partenariat Ardian-Fosun garantit un « ancrage français », selon Henri Giscard d’Estaing
Le patron du Club Med est formel, il faut préserver l’identité du Club Med et pour y parvenir, il faut que cette réussite nationale et internationale garde un contrôle français. C’est, entre autres choses, ce que permet l’offre soutenue par l’équipe dirigeante. Le fonds Ardian et le conglomérat Fosun ont également d’autres ambitions comme celle de continuer la montée en gamme des services initiée par Henri Giscard d’Estaing ou de s’attaquer pleinement au marché asiatique et profiter ainsi de perspectives de développement énormes.
Andrea Bonomi arrive lui avec des objectifs autres et une réputation de « raideur » loin d’inspirer confiance quant à la définition d’une stratégie sur le long terme. L’homme est en effet connu pour acheter des sociétés en péril et de les revendre rapidement dès qu’il les a redressées. Les motos Ducati ou les voitures Aston Martin sont passées entre ses mains. Pour l’heure et pour ce qui nous concerne ici, il prévoit de développer les villages 3 Tridents quand ce sont ceux à 4 et 5 Tridents qui rapportent le plus au groupe. L’homme voudrait aussi enterrer le « all inclusive », cette formule tout-compris qui a fait pourtant l’image du Club Med. Enfin, Bonomi souhaiterait réduire de moitié les frais en France, ce qui menacerait les 650 salariés du siège basé dans l’Hexagone.
« Les bronzés c’est fini depuis longtemps. Il faut écrire un nouveau scénario » déclare Serge Trigano. Bien loin du film de vacances, c’est un tout autre montage que réserve Andrea Bonomi au sort du Club Méditerranée. Doté maintenant d’une tête d’affiche nationale, le projet a désormais tous les ingrédients pour tromper son monde et faire passer cette OPA comme la meilleure. Elle ne fait pourtant qu’engager le groupe dans une direction balisée par un manque d’évolution et des mesures contraires à l’identité du Club. Quant à son potentiel et futur président, il brille déjà d’une aura entachée par un passé professionnel nourri d’incompétences. Le Club Med mérite mieux, nos vacances aussi.
Crédits photo : Arroser