Chantier du terminal méthanier de Dunkerque : le travail détaché en question

Deuxième plus grand chantier industriel de France, le terminal méthanier de Dunkerque dynamise l’activité économique de la région Nord Pas-de-Calais depuis plus de quatre ans. Un projet à dimension européenne, évalué à plus d’un milliard d’euros, bienvenu dans une région fortement touchée par la crise et le chômage. Pourtant, des critiques sur les conditions de travail des salariés détachés font régulièrement surface. Après le FN et la CGT, elles ont été portées ce 22 mars par les équipes de l’émission de France 2 Cash Investigation, présentée par Elise Lucet. Avec une bonne dose de courage mais aussi, malheureusement, de sensationnalisme et d’approximations.

Un chantier d’envergure européenne

Dirigé par la société Dunkerque LNG, filiale du groupe EDF, de l’opérateur gazier belge Fluxys et du groupe Total, le chantier du terminal méthanier en cours depuis 2012 sur le grand port de Dunkerque se retrouve de nouveau sous le feu des critiques. Un temps attaqué par le Front national et la CGT pour avoir eu recours à des entreprises sous-traitantes étrangères, Dunkerque LNG est aujourd’hui mise en cause par certains médias sur la problématique du travail détaché. 

Rappelons tout d’abord ici, pour mieux appréhender les enjeux, l’objectif global de ce nouveau terminal méthanier dont la mise en service devrait intervenir en 2016. Pensé dans un contexte de forte dépendance de l’Europe aux importations de gaz naturel hors de l’Union européenne, ce terminal comporte une dimension stratégique européenne déterminante via l’ouverture d’une source d’approvisionnement flexible en énergie primaire, et l’amélioration significative de la concurrence sur le marché de la fourniture de gaz. Cette dimension stratégique fait de ce projet énergétique un projet européen soumis aux lois fixées par la directive de l’UE interdisant les quotas nationaux ou locaux en matière d’appels d’offres. 

Il semble donc parfaitement normal que des entreprises étrangères européennes participent à la mise en concurrence organisée par l’exploitant, et remportent à l’occasion certains marchés. D’autant que, comme le précise le président de Dunkerque LNG Marc Girard dans Cash Investigation, pour certains de ces marchés aucune entreprise française ne s’était positionnée. Ce fût le cas, par exemple, sur l’appel d’offres « montage mécanique » attribué au consortium italien IREM-SICES, mis en cause par les journalistes de Cash Investigation

Au final, sur les 850 marchés de sous-traitance attribués sur le chantier depuis 2012, près de 59% le sont à des entreprises locales et régionales, 29% le sont à des entreprises nationales, et 12% à des entreprises étrangères. 

Le travail détaché : une dénonciation polémique pour des cas de fraude isolés 

Une fois sélectionnées, ces entreprises étrangères envoient légalement leur personnel en mission sur le chantier en question, et répondent dans ce cadre, non plus au droit de leur pays d’origine mais au droit du pays de destination. Tous les travailleurs du chantier de Dunkerque, quelle que soit leur nationalité, doivent donc être traités de la même manière et soumis aux mêmes règles : celles du droit français en matière de rémunération, d’égalité professionnelle, de durée du travail ou de conditions de travail. 

Dans ce cadre, l’exploitant a pour mission de veiller au respect de la loi, via l’apposition d’une mention dans les contrats initiaux et le rappel régulier de la législation du travail aux entreprises (temps de travail, repos hebdomadaires, congés, retour régulier dans le pays d’origine). Or, si les fraudes peuvent exister à l’initiative des sous-traitants eux-mêmes, aucune irrégularité n’a à ce jour mis en cause le maître d’ouvrage Dunkerque LNG. 

Le reportage de Cash Investigation ne porte en effet que sur cette seule entreprise italienne (soit une quinzaine de travailleurs sur plus des 8000 qui se sont succédés sur le chantier depuis 2012), déjà suspectée d’irrégularités par l’Inspection du travail et sur laquelle l’enquête suit son cours, en collaboration avec Dunkerque LNG. Curieusement d’ailleurs, Cash investigation a présenté des pièces liées à l’instruction, auxquelles le maître d’ouvrage n’a pas accès puisque ne faisant pas l’objet de l’enquête.

Rien de nouveau sous le soleil donc, si ce n’est une volonté farouche des médias de mettre à jour des liens de responsabilités bien souvent inexistants. 

D’autre part, si le cas des travailleurs en question est bel et bien suspect en raison de rémunérations insuffisantes et d’amplitudes horaires trop élevées, il convient d’éviter toutes conclusions hâtives et de laisser les autorités compétentes (Inspection du travail et Police aux frontières) faire leur travail. Un salaire plus faible que la limite légale peut interpeller, mais il est bien souvent le résultat, dans la réalité, de retenues salariales opérées, en toute légalité, par l’employeur pour le logement ou le transport. 

Un minimum de fact checking permet donc de remettre en question l’investigation (l’instruction ?) à charge de l’émission de France 2. S’il est louable de chercher à mettre en évidence les dysfonctionnements qui heurtent le droit, il semble dommage de le faire par le petit bout de la lorgnette, jetant l’opprobre, sur la base d’éléments discutables, sur l’ensemble d’un chantier dont les retombées sont par ailleurs considérables et bénéfiques pour le tissu économique local, comme national et européen.