La distinction entre service public et service privé s’estompe à vue de nez. Des activités considérées comme des « services d’intérêt économique général » sont quotidiennement déléguées à des organismes privés. Dernier exemple en date : les radars mobiles, dont la gestion devrait être confiée à des entreprises privées, pour la plus grande joie des automobilistes.
En 2009 déjà, le Parti communiste mettait la France en garde : « La Poste, France télécom, EDF, GDF, Air France ont été ou seront privatisés pour ouvrir leurs marchés aux profits de capitaux privés. » Si ces propos avaient à l’époque été considérés comme un rien alarmistes, sept ans plus tard, l’évolution suivie par le service public français est en train de leur donner raison. De fait, nombre de missions « de service public » ont été partiellement ou totalement privatisées. Une tendance lourde aux effets pervers non négligeables.
La première vague de privatisations commence au milieu des années 80, avec la cession des sociétés concessionnaires d’autoroutes APRR, SANEF et ASF. Un rapport de la Cour des comptes de juin 2007 constatait que « le niveau de la dette justifie pleinement que les pouvoirs publics cherchent à le réduire. Mais l’objectif de réduction du ratio de dette brute (…) peut conduire à des choix sous-optimaux en termes économiques et financiers. Pour les sociétés concessionnaires d’autoroutes, le produit financier immédiat attendu des privatisations a primé toute autre considération stratégique. » En des termes moins technocratiques, la Cour déplore qu’un service rendu aux citoyens soit géré comme une vache à lait, quitte à dénaturer l’activité elle-même. Plus récemment, un autre exemple flagrant de la fuite en avant vers le profit a été donné par Air France (où l’Etat possède encore des parts importantes) : l’entreprise a enregistré des bénéfices importants, et pourtant un plan de licenciements de masse a été décidé afin de la rendre plus concurrentielle encore.
Le rail a lui aussi subi cette politique néo-libérale qui ne dit pas son nom. Les manifestations qui ont bloqué le pays ces derniers jours visent à prémunir le secteur du transport ferroviaire des dispositions de la loi travail. Dans un procédé qui n’est que trop connu, les grévistes ont même été comparés par le MEDEF à des terroristes (!), alors qu’il ne s’agit que de la défense de travailleurs contre une vaste entreprise de dumping social. L’histoire a prouvé que l’ouverture à la concurrence a essentiellement eu comme effet de faire sauter les droits des cheminots, et de baisser leurs salaires. Et quand la voie est libre, on assiste à des reculs ahurissants.
Ainsi, exemple édifiant, certaines interventions des pompiers vont devenir payantes dans le Calvados. Une décision du conseil d’administration du Service départemental d’incendie et de secours, datant 21 mars 2016, à Caen, institue une tarification des services des sapeurs-pompiers. 241 € pour une personne qui a besoin d’être relevée chez elle après une chute, sans transport à l’hôpital, même tarif pour une personne en état d’ébriété… La survie devient elle aussi une affaire de sous.
Autre privatisation annoncée dont on parle beaucoup en ce moment : les contrôles radars mobiles devraient être confiés à des sociétés privées. Dès janvier 2017, la conduite des voitures banalisées avec radar embarqué sera prise en charge par un prestataire privé. Première crainte que cela suscite : une inflation des contraventions. « Si une société privée postule auprès de l’Etat et veut conserver son agrément, elle fera tout pour faire du chiffre et donc flasher au maximum. L’Etat fera certes des économies car il n’aura pas à engager de fonctionnaires supplémentaires et bénéficiera du fruit des amendes. Mais c’est l’automobiliste qui trinquera au final », s’indigne à ce propos Alain Fouché, Sénateur de la Vienne.
Nicolas Comte, le secrétaire général du syndicat de policiers Unité SGP-FO partage cette inquiétude, voyant dans cette privatisation une régression sur le plan de la sécurité routière : « Des agents du privé se contenteront de rouler avec les radars » là où des policiers, eux « peuvent mener des missions de sécurité routière. » Et ces missions ne sont pas superflues : un accident sur trois implique l’alcoolémie – sans parler des stupéfiants. Des facteurs que des prestataires privés ne pourront contrôler.
Mais cela constitue surtout une nouvelle étape dans l’externalisation d’un service de l’Etat, particulièrement problématique. Un glissement d’autant plus dangereux que la mission cédée relève d’un service de police. Les fonctionnaires de police seront tributaires des sociétés qui notifieront les infractions, infractions auxquelles ils devront donner suite, relégués au rang de petites mains d’un système de justice privé ! Et cette tendance n’est malheureusement pas isolée. L’arbitrage privé que prévoit le traité de libre-échange transatlantique (Tafta) en cours de négociation avec les États-Unis va également dans ce sens. En l’état, le texte propose l’instauration d’une juridiction d’exception européenne au service des entreprises souhaitant attaquer les décisions des Etats…
Plus globalement, la politique poursuivie par les principaux acteurs et institutions du domaine financier entend démocratiser ce procédé. On l’a vu en Grèce où une privatisation sauvage des domaines publics a été imposée, soi-disant pour assainir les finances du pays. Le port du Pirée, plus grand port maritime de Grèce et l’un des plus grands du bassin méditerranéen a ainsi été cédé à hauteur de 51% au groupe Chinois Cosco Shipping malgré les résistances du gouvernement et l’exaspération de la population. Les pays d’Amérique du Sud ont eux aussi payé au prix fort les exigences qu’imposait le FMI en contrepartie de son aide. Le même procédé a été appliqué pour les chemins de fer anglais, l’eau italienne, ou encore l’électricité aux Etats-Unis. Avec les conséquences souvent désastreuses que l’on connaît.