Pertes d’exploitation : l’hypocrisie des assureurs

Assurance Axa coronavirus

Alors que les assureurs clament depuis le début de l’épidémie que les circonstances actuelles ne permettent pas l’indemnisation de leurs assurés, Axa, attaqué en justice par l’un de ses clients professionnels, vient de se voir ordonner par la justice la prise en charge des pertes d’exploitation de celui-ci.

Comme un bras d’honneur lancé au visage des centaines de milliers d’entrepreneurs français ; ou, au mieux, un abandon en rase campagne : le lâchage des assureurs tricolores face à la crise que traversent, en raison de l’épidémie de coronavirus, les entreprises françaises, ne passe décidément pas. Couvrir les risques liés à la pandémie serait ainsi, selon la présidente de la Fédération Française des Assurances (FFA), Florence Lustman, « totalement hors de portée des capacités des assureurs », selon qui « les risques systémiques ne sont pas mutualisables et ne sont pas assurables ».

Une fin de non-recevoir bien en deçà des attentes des TPE/PME, et une manière de botter en touche, la puissante fédération assurant ne pouvoir intervenir qu’en « complément » de l’Etat. Face au tollé, la FFA s’est bien engagée, le 19 mars, à soutenir les professionnels dont l’activité est réduite, voire totalement empêchée par la crise sanitaire. Mais ses promesses, limitées aux risques de retards de paiement et à la seule période de confinement, ont fait l’effet d’une douche froide. Un effort « nettement insuffisant », balaie le syndicat des indépendants (SDI) ; de simples « mesurettes », déplore celui des hôteliers (UMIH).

Les assureurs montent au créneau contre le Crédit Mutuel

Dans ce contexte de défiance légitime vis-à-vis d’un secteur se défaussant de ses responsabilités, l’annonce du Crédit Mutuel a fait l’effet d’un pavé dans la marre. Les Assurances de la banque mutualiste et de sa filiale CIC ont en effet annoncé, mi-avril, un geste exceptionnel en faveur de leurs clients professionnels : le versement d’une « prime de relance mutualiste, forfaitaire et immédiate », d’un montant total de 200 millions d’euros — soit 7 000 euros en moyenne pour chaque assuré.

L’élan de solidarité du Crédit Mutuel a, dans la foulée, été imité par plusieurs de ses concurrents, comme le Crédit Agricole, la BPCE ou la Maaf. Une initiative qui, selon Nicolas Théry, président de la banque mutualiste « correspond à la vision qu’ont les assurances du Crédit Mutuel de la mutualisation des risques ». Mais pas, manifestement, à celle des assureurs généraux qui, par la voix de la FFA, ont dénoncé une « campagne de communication trompeuse et mensongère », « un préjudice majeur » et « une inacceptable concurrence déloyale ». L’Agéa, fédération regroupant notamment Axa, Generali et Allianz, a quant à elle annoncé avoir saisi le gendarme français de la finance (APCR) pour statuer sur ce qu’elle qualifie, toute honte bue, de situation « moralement choquante ».

Dans le même temps, le restaurateur Stéphane Manigold assignait son assureur, Axa, en justice, pour refuser de couvrir ses pertes d’exploitations liées à l’épidémie. Le procès qui s’en est suivi en dit long sur la logique des assureurs : selon une source proche du dossier, les assureurs n’ont ainsi pas hésité à fonder leur riposte sur des arguments plus saugrenus les uns que les autres : le confinement n’était pas une fermeture administrative, mais uniquement « au public », un cas de figure exclu de leurs contrats ; cette fermeture n’empêchait pas de faire des affaires, les professionnels concernés n’avaient qu’à se montrer imaginatifs ; l’arrêté ministériel de fermeture au public était illégal, car pris par le ministère de la Santé, incompétent en la matière ; enfin, quand bien même leurs arguments seraient rejetés par les tribunaux, les assureurs ne couvrent pas le risque de pandémie. Ils ne rembourseront donc pas leurs clients…. A moins d’y être forcés ?

La justice tranche en faveur des « petits »

Une ligne de défense, et une insondable mauvaise foi, que confirmait Stéphane Manigold il y a quelques jours : « Axa aujourd’hui renvoie l’Etat à ses responsabilités et veut prendre en otage l’ensemble des restaurants, cafés et commerces parce qu’il déclare que l’arrêté du 14 mars n’a aucunement ordonné la fermeture des restaurants et que ces fermetures résultent de la seule décision volontaire et non contrainte des restaurateurs », pestait alors le chef parisien. « C’est aussi scandaleux que ça », s’insurgeait-il, en appelant au ministre de l’Economie : « Bruno Le Maire, donnez-nous la preuve qu’Axa ment. (…) L’Etat doit venir à notre secours et ne peut accepter une telle position d’un grand groupe français ».

Et tout porte à croire qu’il a été entendu : le 22 mai, les magistrats ont en effet tranché en faveur du restaurateur. L’assureur s’est ainsi vu ordonner par le tribunal de Commerce de Paris d’indemniser son assuré. Une décision judiciaire qui pourrait bien créer un précédent, et qui redonne espoir aux professionnels français : « on avait un genou à terre. Aujourd’hui, la justice nous a donné une béquille et nous a dit “‘regardez vos contrats, vous avez la possibilité d’être sauvés et de ne pas mettre la clef sous la porte”’. Le président du tribunal a donné une décision forte. Il a, un à un, rejeté les arguments massifs d’Axa. Je suis fier de ce que cela va générer pour mes amis restaurateurs. C’est une victoire sans précédent ».

Axa, qui a été condamné à verser pas moins de 70 000 euros à son client ainsi que 5 000 euros d’indemnités a, comme on pouvait s’y attendre, fait appel de cette décision. De quoi changer l’issu du procès ? Quoi qu’il en soit, « nous avons affronté AXA une multinationale et nous avons gagné », confie Stéphane Manigold. Nul doute que le mot est bien passé auprès de ses confrères qui ne devraient pas tarder à suivre son exemple.