Que faire des djihadistes de Daesh et de leurs familles détenues sur le territoire de leur ancien « califat » ? C’est à cette épineuse question que tentent, depuis la chute de l’État islamique, de répondre les pays du monde entier. En ordre dispersé, comme en témoigne par exemple le grand écart entre les réactions de la France, dont les autorités ferment les yeux sur le problème, et un pays comme le Kazakhstan, qui a mis sur pied d’ambitieux programmes de rapatriement et de déradicalisation, salués par la communauté internationale.
Au compte-gouttes. En dépit des appels de diverses ONG, la France continue d’appliquer une politique extrêmement sélective en ce qui concerne le rapatriement sur son territoire des familles de djihadistes ayant combattu au Moyen-Orient. Le 13 janvier dernier, sept enfants de présumés terroristes ont ainsi été officiellement rapatriés de la Syrie à l’Hexagone. Un chiffre dérisoire, qui s’ajoute aux 35 enfants ramenés en France depuis la chute du groupe État islamique (EI) en mars 2019 et à mettre en regard des quelques 200 enfants français qui, selon l’ONU, se débattraient toujours, parfois avec leurs mères, parfois seuls, pour survivre au sein de camps syriens administrés par les forces kurdes.
Quand le pays des droits de l’homme abandonne ses enfants
Malnutrition, maladies dues au manque d’eau potable, absence de soins parfois vitaux, violences, détresse psychologique consécutive aux horreurs de la guerre ou à l’endoctrinement djihadiste… : criante, l’urgence humanitaire ne suffit pourtant pas aux yeux des autorités françaises, qui n’acceptent de rapatrier des enfants nés de parents français que s’ils sont orphelins ou si leur propre mère consent à s’en séparer. Une ligne de conduite de plus en plus sévèrement critiquée par certaines associations, telles que le Collectif des familles unies, selon qui « attendre que chaque mère ‘craque’ une par une pour rapatrier les enfants ne constitue pas une politique de protection des enfants ». Il y a pourtant urgence, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies estimant que les enfants français détenus dans le nord-est syrien sont en danger « immédiat ».
Leurs mères désireuses de revenir en France ont, pour la plupart, épuisé les voies de recours. En désespoir de cause, certaines d’entre-elles ont commencé une grève de la faim, une solution extrême pour se faire entendre, mais qui contribue aussi à affaiblir leur état général. Avec leurs enfants, ces Françaises sont maintenues dans un flou juridique, étant placées sous l’autorité d’une force armée kurde non reconnue par la communauté internationale, tout en demeurant judiciarisées sur le territoire français. Car, contrairement à ce qu’elle prétend, la France « exerce une juridiction sur ces enfants », estime le Comité de l’ONU et elle doit, à ce titre, leur assurer le bénéfice des conventions internationales dont elle est signataire.
Mais Paris fait la sourde oreille et semble se désintéresser de ces femmes et enfants devenus encombrants, et dont le retour sur le sol national est considéré comme porteur de danger. Le gouvernement aurait transmis des consignes aux autorités irakiennes afin qu’elles empêchent une délégation de parlementaires français de se rendre, début mars, dans un des camps où sont enfermées ces familles de combattants islamistes. « C’est la France qui a fait pression pour qu’on ne puisse pas rejoindre le camp », affirme la députée Frédérique Dumas. Pour l’avocat d’une famille dont la fille est retenue en Syrie, Emmanuel Daoud, « le refus de rapatrier ces femmes malgré leur judiciarisation ne peut être qu’un choix politique ». Un choix « d’une démagogie absolue », conclut-il.
Le Kazakhstan salué pour son programme de rapatriement et de réinsertion
Si la plupart des pays au monde ont vu certains de leurs ressortissants rejoindre les rangs de Daesh, toutes leurs familles ne sont pas logées à la même enseigne. Ainsi, le Kazakhstan, pays d’Asie centrale, a déjà rapatrié sur son sol plusieurs centaines de ses citoyens partis en terre de jihad. Lors d’une opération baptisée « Joussan » (« armoise », en kazakh), les autorités du pays ont ainsi rapatrié, de janvier à mai 2019, quelque 595 ressortissants, dont une majorité de femmes (156) et d’enfants (406) qui ont été redirigés vers des centres de réinsertion, où ils ont pu bénéficier d’un accompagnement médical et psychologique. La trentaine d’hommes revenus des théâtres de guerre a, quant à elle, été jugée et condamnée.
L’opération Joussan se poursuit toujours. C’est ainsi qu’en janvier dernier sont revenus de Syrie douze nouveaux citoyens, parmi lesquels sept enfants. Autant d’efforts qui contrastent avec l’embarras des chancelleries occidentales, et qui ont attiré les louanges de la communauté internationale. Initiée en 2018 par son ancien président, Noursoultan Nazarbaïev, et reconduite par son successeur, Kassym-Jomart Tokayev, l’approche humanitaire du Kazakhstan a notamment été saluée par les États-Unis, en la personne de son envoyé spécial pour la Coalition mondiale contre l’EI. « Nous avons aidé un certain nombre de pays à rapatrier des combattants terroristes étrangers et les membres de leur famille en vue de leur réadaptation, de leur réintégration et, le cas échéant, de poursuites » pénales, a ainsi déclaré John T. Godfrey lors d’un discours prononcé à Washington le 25 févier.
« Le Kazakhstan a été un chef de file notable sur ce front », a poursuivi l’officiel américain, rappelant que le pays avait ramené « des centaines de combattants (…) et leurs familles, et (lancé) de nouveaux programmes novateurs de réadaptation et de réintégration » dans la société. « Ces outils sont devenus de plus en plus importants à mesure que la menace terroriste est de plus en plus décentralisée et s’éloigne des zones de conflit militaire traditionnelles », s’est encore félicité Godfrey. Un satisfecit réitéré par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme, Fionnuala Aolain, qui a salué début mars les opérations humanitaires – « Joussan » et « Roussafa », cette dernière étant baptisée d’après le nom d’un quartier de Bagdad, en Irak – menées par le Kazakhstan pour rapatrier ses ressortissants. La Rapporteuse de l’ONU a notamment estimé que les autres pays concernés par la question tireraient avantage de s’inspirer de l’expérience du Kazakhstan en la matière.