Depuis l’annonce du départ de Jean-Pierre Denis de la présidence du Crédit Mutuel Arkéa, certains Bretons grincent des dents. En cause, l’omniprésence de l’homme d’affaires dans les filiales de la banque, qui lui assure des revenus plus que confortables et, d’après certains, une possible emprise sur son successeur.
Fin juin de l’année passée, le chiraquien Jean-Pierre Denis faisait état de sa volonté de « prendre du recul » avec la présidence du Crédit Mutuel Arkéa, sans pour autant quitter son poste. D’aucuns avançaient alors que la démission de son historique directeur général, Ronan Le Moal, la même année et la léthargie du projet d’indépendance de la banque bretonne, avaient porté un coup fatal à l’énarque.
Des soupçons confirmés en mars 2021, quand Jean-Pierre Denis annonce officiellement son départ de la présidence d’Arkéa. Et celui-ci d’en profiter pour fustiger la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, maison mère de la banque bretonne et historiquement hostile au projet d’indépendance : « mon départ repose sur les constations que j’ai faites, il n’y a aucune raison liée au groupe Arkéa […] La Confédération s’est immiscée dans des décisions relevant des instances d’Arkéa et a porté atteinte à ma liberté de choix ». Des paroles amères symptomatiques d’un constat d’échec que l’homme n’a pas digéré, mais avec lequel il devrait pouvoir vivre.
Les domaines de Suravenir
Car depuis près d’une décennie, Jean-Pierre Denis prépare sa « retraite » : en 2012, sous l’impulsion de l’ex-président d’Arkéa, Suravenir, la filiale de la banque spécialiste de l’assurance vie, se diversifie en faisant l’acquisition du vignoble Château Calon Ségur, pour la coquette somme de 170 millions d’euros. En 2016, toujours selon les souhaits de Jean-Pierre Denis, Suravenir persiste et signe en fondant la société Les Terroirs de Suravenir, dont l’objectif ne sera ni plus ni moins que de garnir le portefeuille viticole de sa maison-mère. Besogneuse, cinq ans après sa création, Les Terroirs de Suravenir peut d’ores et déjà se vanter d’avoir fait l’acquisition de trois vignobles, dans des régions de France plutôt huppées (Saint-Émilion, Pomerol…).
En bon stratège qu’il est, Jean-Pierre Denis s’y est bien évidemment offert une place de choix, tant dans la société Chateau Calon Ségur qu’aux Terroirs de Suravenir : l’homme cumule ainsi les fonctions de Président du conseil d’administration, de Président et d’administrateur pour la première quand il est Président du conseil de surveillance de la seconde. Au-delà de ces titres officiels, Jean-Pierre Denis est l’homme à la manœuvre derrière ces deux entités.
Ainsi, après avoir lui-même mené les négociations pour l’acquisition de Château Calon Ségur en 2012, c’est lui qui, en 2020, confirmait l’acquisition des trois nouveaux domaines viticoles par Suravenir. Plus encore, au mois de mai de l’année en cours, Jean-Pierre Denis se confiait dans les colonnes du Figaro sur son avenir post-démission d’Arkéa, « confortablement installé dans un canapé du salon du Château Calon-Ségur ». Et l’homme — qui se définit comme un « amateur » de vins de bordeaux — de laisser la porte ouverte à de nouvelles acquisitions viticoles et de confirmer celle de deux pieds à terre dans le centre de Saint-Émilion.
Dès lors, au regard de son omniprésence dans ses filiales, difficile de dire que l’homme a quitté la banque bretonne, si ce n’est sur le papier. À tel point que d’aucuns voient dans la récente prise de position de Julien Carmona, nouveau président du Crédit Mutuel Arkéa, en faveur du projet d’indépendance de la banque, ni plus ni moins que l’emprise de Jean-Pierre Denis, qui, d’après ses propres mots, n’a aucune intention de « prendre du recul » : « avec Suravenir, nous sommes dans le temps long ce qui nous permet de faire des projets à 10 ou 20 ans ».