Un colloque organisé les 5 et 6 novembre a tenté d’alerter sur les épreuves que vivent les livreurs de repas à domicile. Baptisé « Ubérisation et santé des travailleurs », ce rassemblement a notamment dénoncé la soumission toujours plus grande des travailleurs aux plateformes numériques.
Préjudice physique
« Le taux d’engagement des livreurs à vélo s’approche des 100 %, il est bien supérieur à celui déjà très important d’ouvriers sur des chaînes de production, explique le psychiatre Christophe Dejours, responsable scientifique de l’institut de psychodynamique du travail. Cela peut conduire à un dépassement des limites de l’organisme, avec des conséquences notamment cardio-vasculaires ou articulaires. Ce dépassement est facilité par l’anesthésie de l’individu aux douleurs. »
Mais au-delà de l’usure du corps, c’est son intégrité qui est menacée, car les livreurs se mettent réellement en danger. « Les coursiers rusent. Pour eux, le Code de la route est un frein à la réalisation de leurs objectifs », explique la psychologue Élisabeth Leblanc, chargée d’études à l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail).
Préjudice moral
Et si seulement ce n’était que le corps ! Mais les travailleurs sont impactés au plus profond d’eux-mêmes. « Toute l’activité de pensée du livreur est captée, même le temps hors travail est colonisé : le livreur doit sans cesse être en vigilance pour maintenir son rang afin de conserver ses “privilèges” dans l’attribution des courses. Cela génère un épuisement général, a des conséquences sur la vie affective », ajoute Élisabeth Leblanc.
Les livreurs « expriment non seulement le sentiment de s’être fait piéger, d’avoir été des “pigeons”, mais aussi la culpabilité d’avoir été complices des plateformes. Ils expriment une forme d’avilissement par le travail qui atteint leur image de soi », abonde le sociologue Fabien Lemozy.