En Côte d’Ivoire, l’espoir de l’après-Ouattara

guillaume soro

Un après l’élection présidentielle de 2020 en Côte d’Ivoire, boycottée par l’opposition et marquée par de nombreuses irrégularités, le souvenir de la mascarade démocratique reste ancré. Face à un Alassane Ouattara tout puissant, l’opposition a été méthodiquement éliminée de la vie politique nationale. Seule la figure de Guillaume Soro, encore contraint à l’exil, semble pouvoir balayer les anciennes gloires de la politique nationale.

Revirement inconstitutionnel

En affirmant devant les parlementaires ivoiriens réunis en Congrès le 5 mars 2020, renoncer à se porter candidat à sa propre succession, Alassane Ouattara offrait aux Ivoiriens la possibilité d’entrevoir une ère nouvelle. Ce choix fut d’ailleurs salué par la communauté internationale, inquiète des perspectives d’un troisième mandat inconstitutionnel, qui aurait immanquablement amené à des troubles civils. Mais le décès brutal d’Amadou Gon Coulibaly en juillet 2020, Premier ministre en exercice et candidat naturel du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti présidentiel, rebat les cartes. Rompant avec ses promesses initiales, Alassane Ouattara annonce se présenter à nouveau. Et emmène la Côte d’Ivoire vers un destin à la guinéenne. Dès l’annonce de sa nouvelle candidature, Alassane Ouattara s’attache à soigneusement couper les têtes.

Pas question en effet pour l’autocrate ivoirien, qui occupe la magistrature suprême depuis dix ans, que l’opposition menace sa réélection. Les principales candidatures de l’opposition sont ainsi méthodiquement rejetées. Parmi elles, Mamadou Koulibaly, ancien ministre du Budget, puis de l’Économie et des Finances et ancien président de l’Assemblée nationale entre 2001 et 2012. Un technocrate ultralibéral, agrégé de sciences économiques devenu universitaire puis, plus tard, versé dans la politique. Son assise populaire, modérée, ne lui aurait dans tous les cas pas donné de grandes chances de victoire. Laurent Gbagbo, opposant historique à Alassane Ouattara, voit lui aussi sa candidature rejetée par les sept membres du Conseil constitutionnel ivoirien, tous nommés par Alassane Ouattara. Fragilisé par son âge avancé et son inculpation par la Cour pénale internationale pour quatre chefs d’accusation de crime contre l’humanité, il appartient cependant à un vieux monde dont les Ivoiriens, épuisés par une décennie Ouattara, ne veulent plus. Dans une élection qui l’oppose à une poignée de candidats fantoches, boycottée par les oppositions, Alassane Ouattara « remporte », dès le premier tour, plus de 95 % des voix.

La seule alternative Soro

Pour Ouattara, Guillaume Soro, ancien premier ministre entre 2007 et 2010, et 2011 et 2012, s’est rapidement affirmé comme la principale menace. Il est, ces derniers mois, devenu la principale obsession de l’autocrate ivoirien. Encore jeune — il a 49 ans —, Guillaume Soro jouit d’une forte popularité dans le pays. Son passage à la tête de l’Assemblée nationale ivoirienne a laissé le souvenir d’une forte mobilisation en faveur de la jeunesse, des questions sociales, mais aussi de l’environnement. En octobre 2019, il lance ainsi son mouvement « Génération et Peuples solidaires » et annonce se porter candidat à l’élection ivoirienne. Une percée dans l’opinion ivoirienne qui n’est pas du goût d’Alassane Ouattara, qui décide de déclencher la machine de guerre judiciaire contre lui. Un procès politique est ainsi ouvert en avril 2020 à Abidjan, poussant Guillaume Soro à l’exil. Et ce malgré l’indignation de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, qui réclame la suspension de l’exécution du mandat d’arrêt international contre Soro, ainsi que la libération de plusieurs de ses soutiens. Interpol, qui juge que le mandat d’arrêt relève du choix politique, refuse de l’appliquer.

Pourtant, la machine est lancée. Sous la menace d’une arrestation s’il revenait en Côte d’Ivoire, donc incapable de réaliser des meetings ou des tournées électorales, Guillaume Soro utilise habilement les réseaux sociaux, lui permettant ainsi de toucher régulièrement ses 1,3 million d’abonnés. Le compte Twitter de son mouvement, Générations et Peuples solidaires, rassemble plus de followers que celui du RHDP, signe de l’assise populaire du mouvement. Malgré la répression judiciaire menée par le clan Ouattara, pas question de baisser les bras pour Guillaume Soro qui, en tout et pour tout, a échappé à six assassinats au cours de sa carrière politique. Du côté d’Alassane Ouattara, on fait mine de ne pas s’inquiéter de la popularité de Soro, dont on cherche à minimiser le poids électoral. Pourtant, rarement une cabale judiciaire aussi puissante ne s’est abattue sur un candidat. C’est actuellement de France, où il reste globalement protégé, que Guillaume Soro mène son combat.

Répression en cascade

La répression politique envers les plus grandes figures de l’opposition a mené, en 2020, le peuple ivoirien dans la rue. Les ONG, notamment Human Rights Watch, ont dénoncé le déchaînement de violence des forces du régime contre des manifestants, en grande majorité pacifique. Selon l’ONG, une cinquantaine de personnes ont perdu la vie dans le cadre des violences postélectorales. Dans ce climat de terreur, la peur est trop forte pour redescendre dans la rue.

C’est donc sur les réseaux sociaux que le peuple se mobilise. L’un d’eux, Chris Yapi, raconte les bas-fonds de la politique ivoirienne, la corruption du gouvernement en place, les passe-droits et les liens quasi-incestueux entre Paris et Abidjan. Il a, par exemple, révélé le soutien financier de Ouattara à Antonio Kast, le candidat d’extrême-droite chilien, nostalgique de Pinochet et défait à la dernière présidentielle par la coalition de la gauche unie par menée Boric. En cause ? Les investissements massifs du clan Ouattara en Amérique latine, et notamment au Chili, qui pourraient être menacés par la lutte anticorruption que souhaite mener Boric.

La France, qui avait accepté à demi-mot et avec un discours d’équilibriste la « victoire » d’Alassane Ouattara, reste globalement muette face aux abus avérés aux droits humains. Et pour cause, Alassane Ouattara demeure l’une des dernières survivances d’une Françafrique aujourd’hui contrariée par les poussées russes et chinoises en Afrique de l’Ouest. Si le Mali ouvre ses bras aux miliciens russes de Wagner, si la Guinée se détourne de la France, Alassane Ouattara semble vouloir éternellement demeurer un « ami de la France ». Pour Paris, le pays qui fut autrefois considéré comme la « perle de l’Empire », reste une chasse gardée.