Alassane Ouattara : le mandat de trop

Si Alassane Ouattara a réussi à se polir une image de techno-démocrate apaisé au niveau international, son élection à un troisième mandat présidentiel a généré une vive colère populaire en Côte d’Ivoire. Car, après 10 ans à la tête de l’État et malgré la forte croissance économique, la population ivoirienne vit encore dans la misère, la corruption bat son plein et les libertés individuelles s’amenuisent peu à peu.

« Il se présentait comme un humaniste mais le masque est tombé »

« La décision d’Alassane Ouattara » de briguer un troisième mandat, intervenue après le décès brutal, le 8 juillet, d’Amadou Gon Coulibaly, son Premier ministre et candidat désigné du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), a tout changé » affirmait très justement le journaliste au magazine francophone Jeune Afrique Vincent Duhem. Le 5 mars 2020, Alassane Ouattara expliquait renoncer à un troisième mandat, dont il savait qu’il serait largement contesté par la rue ivoirienne. Cette décision avait été, à l’époque, saluée par la communauté internationale et, surtout, au niveau africain. Le président français, Emmanuel Macron, avait quant à lui rendu hommage sur Twitter le 5 mars 2020, à un « homme de parole et (un) homme d’État ». Chacun savait qu’un troisième mandat d’ADO (NDLR. acronyme de Alassane Dramane Ouattara) aurait irrémédiablement conduit à de sérieux troubles politiques en Côte d’Ivoire. La suite des évènements a finalement prouvé qu’à sa parole, Alassane Ouattara préférait le pouvoir à tout prix.

La mort de son Premier ministre et héritier naturel, Amadou Gon Coulibaly, dans des circonstances douteuses le 8 juillet 2020 a ainsi changé la donne et conduit Alassane Ouattara à remporter la victoire à un troisième mandat inconstitutionnel, permise en écartant toutes les candidatures de l’opposition. La réélection d’Alassane Ouattara a été logiquement contestée dans la rue. Mais, plutôt que d’écouter la colère des Ivoiriens, à qui l’alternance politique était promise, Alassane Ouattara a préféré écraser dans le sang le mouvement de contestation. Une trentaine de personnes sont ainsi mortes dans le cadre des manifestations contre le troisième mandat, notamment nées dans les quartiers populaires en août 2020 au chant des slogans « STOP ADO ». Même dans le Nord du pays, qui lui est traditionnellement acquis, la popularité du président ivoirien se réduit comme peau de chagrin.

Pour d’anciens proches du président Ouattara, ce mandat sera celui de trop, qui a révélé au monde son vrai visage. « Le masque est tombé. Il se présentait comme un humaniste, un homme de paix, un haut fonctionnaire à l’occidentale qui voulait la démocratie… Il est comme la plupart de nos présidents africains, un chef qui veut garder le pouvoir pour son clan et qui n’hésite pas à réprimer pour se maintenir », explique au magazine français Le Point un proche du gouvernement Ouattara, passé dans l’opposition.

Corruption endémique

Surtout, le manque de confiance de l’opinion ivoirienne dans la gestion de plusieurs des dossiers clés d’Alassane Ouattara est de plus en plus visible. En 2019, 58 % des Ivoiriens pensait que le gouvernement ne luttait pas efficacement contre la corruption. 40 % d’entre eux considéraient que le niveau de corruption a augmenté, contre seulement 32 % en 2015. Une perception qui coïncide avec les faits. En 2021, le pays occupe la 106ème place sur 180 de l’indice de perception de la corruption mené chaque année par Transparency International. La moitié des Ivoiriens déplorent aussi avoir subi la corruption dans l’accès aux services publics du quotidien. Un véritable désaveu.

Si Alassane Ouattara en a fait une des priorités de ses différents mandats, aucune mesure concrète efficace n’a réellement été mise en œuvre. Sachant même qu’une partie de ses proches ont été éclaboussés par des scandales de corruption. En juin 2020, le très sérieux magazine « Vice » accusait, dans une série d’articles, Hamed Bakayoko d’être un « grand trafiquant de cocaïne ». Il est pourtant resté, jusqu’en mars 2021, Premier ministre de Côte d’Ivoire.

Encore 40 % des Ivoiriens sous le seuil de pauvreté

En Côte d’Ivoire, l’espérance de vie à la naissance ne dépasse pas les 57 ans, soit 4 ans de moins que la moyenne de l’Afrique subsaharienne et le pays, en 2020, pointe à la 162ème place (sur 189) au classement de l’indice de développement humain du PNUD. Près de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, malgré un recul marqué depuis 2011 et la guerre civile. 80 % de l’économie reste liée au secteur informel et le chômage des jeunes atteint les 25 %. Comme beaucoup de chef d’État africains, Alassane Ouattara ne semble pas décidé à partager les fruits de la croissance, qui s’élève entre 7 et 8 % par an depuis 2011, malgré un trou logique pendant le COVID. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, les conditions matérielles des populations ne se sont pas vraiment améliorées.

« Il est important de différencier croissance et développement. Si des routes ont été construites, la population s’est, elle, fortement appauvrie. Le système Ouattara se caractérise par un hyper endettement de l’État et l’enrichissement d’une caste » souligne Michel Galy, politologue, pour TV5 Monde. La « locomotive » de l’Afrique de l’Ouest a bien dû mal à faire avancer les wagons de la grande majorité de la population. La seule chance du peuple ivoirien est finalement l’âge très avancé de son président qui sera, un jour ou l’autre, contraint de quitter le pouvoir.