Ukraine : les SDF toujours à la rue 

Ukraine, SDF

Alors qu’une importante solidarité s’organise en Ukraine pour venir en aide aux déplacés ayant perdu leur maison, les sans-abri restent, eux, exclus de la plupart des lieux publics chauffés. Une  solidarité à deux vitesses dérangeante, que les principaux intéressés acceptent avec fatalisme.

« Je suis une bonne chrétienne ! »

Pourquoi différencier les sans-abri d’avant-guerre des déplacés ayant tout perdu dans les bombardements ? C’est probablement la question que doivent se poser certains policiers chargés d’expulser les SDF des lieux publics chauffés. Et surtout, comment les distinguer ? Certains étaient déjà bien connus avant la guerre, comme Anna, qui mendie devant la gare centrale de Kiev depuis des années, mais la plupart sont nouveaux dans la capitale … Mais les policiers ukrainiens n’ont apparemment aucun mal à faire le tri. 

« Je crois pourtant en Dieu ! Je suis une bonne chrétienne ! Et me voilà dehors ici sans rien », se lamente Anna, dont la guerre a considérablement dégradé les conditions de vie. « Retourne mendier sur ton territoire », lui intime un policier qui passe par là. « Anna, nous la connaissons tous bien. Elle vient d’une campagne au loin », raconte celui-ci une fois la vieille femme partie. « Cela fait dix ans que chaque jour elle prend son train et mendie ici  … »

Drogués et toxicomanes non pris en charge

Igor, l’un des gérants de l’association d’aide aux sans-abri La Maison de la miséricorde, regrette de ne pas pouvoir faire mieux, et vie très mal le fait de refuser la plupart des personnes dans le besoin.  

« Ici, nous logeons 12 hommes et dans un autre appartement 6 femmes, explique Igor. Nous aidons un certain type de SDF, ceux avec des problèmes de santé, surtout des vieilles personnes. Beaucoup n’ont plus de famille, ils ont été victimes d’escroquerie, ils ont perdu leurs papiers… Quelques jours suffisent dans la rue pour finir dépouillé ».

« Nous ne prenons pas en charge les toxicomanes et les alcooliques », ajoute le responsable, qui regrette cette situation, mais ne peut pas se permettre de gérer les personnes en état de manque. D’autant qu’ils sont de plus en plus nombreux à frapper à sa porte. « Il y avait 10.000 SDF dans la région de  Kiev, avant-guerre. Aujourd’hui, si nous n’avons pas encore de chiffres attestés, on estime que leur nombre a été multiplié par cinq  … »

Manque de place

Les places sont d’autant plus chères qu’il ne reste plus qu’un refuge à Kiev, les Russes ayant détruit l’autre. « Il y a peu de places là-bas, 150 seulement. Et ceux qui y vont, ils y restent. Jusqu’à la fin », explique Igor, qui ne se voit pas jeter un occupant à la rue pour accueillir quelqu’un d’autre. 

Parmi les quelques « chanceux » ayant trouvé une place dans le refuge de La Maison de la miséricorde, Sergei, à moitié défiguré, raconte sa descente aux enfers : « J’étais fermier à l’Ouest. Mon voisin voulait me voler mes terres… J’ai fini par le tuer. Après huit ans de prison, je ne retrouve ni ma femme ni ma maison. Je suis à la rue et vais dans la ville la plus proche, à Lviv. Là-bas, mes papiers sont volés. Je vais alors à Kiev et à nouveau je perds mes papiers … »

A ses côtés Artem, une jambe en moins, a une histoire plus triste encore. « On m’a amputé ma jambe un peu avant le 24 février. Mais je n’ai pas voulu rentrer à la maison et forcer ma femme à vivre avec un handicapé… Alors, je suis resté devant l’hôpital, à l’arrêt de bus, trois mois durant. J’allais mourir, mais on m’a sauvé et j’ai fini ici… », raconte-t-il. Mais il ne se plaint pas. « Nous connaissons le froid; mais nous savons nos épreuves moins douloureuses que celles des soldats aujourd’hui sur le front », relativise-t-il, reconnaissant.