Alter, l’un des syndicats de pilotes à Air France, a lancé un nouvel appel à la grève les 10, 11, 12 et 13 janvier prochains. Les raisons de la colère : la mise à pied de deux pilotes accusés d’avoir facilité l’entrée de manifestants au CCE du groupe, lors de la manifestation du lundi 5 octobre dernier qui a dérapé et entraîné l’affaire dite des « chemises arrachées. » Cette contestation intervient alors que les négociations autour du plan de réforme « Perform 2020 » sont en cours entre la direction et les partenaires sociaux. Tandis que le refus de compromis sérieux par les syndicats de pilotes est largement dénoncé par les autres parties, cet appel promet de relancer les tensions déjà très vives dans l’affaire qui écorne l’image et les finances du groupe.
Nouveau volet dans la crise Air France. Deux pilotes sont en effet accusés d’avoir facilité l’entrée de manifestants le 5 octobre dans le siège du groupe. Ils sont passés devant un conseil de discipline le 7 janvier, et risquent une sanction minimale, consistant en une mise à pied sans solde de quinze jours. Alter, syndicat de pilotes, a appelé à une grève les 10, 11, 12 et 13 janvier, pour « protester contre une scandaleuse procédure disciplinaire. » Les deux hommes sont d’ores et déjà mis à pied avec solde depuis mi-octobre.
Si Alter n’est qu’un syndicat secondaire du groupe (le principal acteur social est le SNPL, qui regroupe 65% des pilotes), cette prise de position n’en demeure pas moins révélatrice de l’état d’esprit des pilotes, qui non contents d’avoir jusqu’à maintenant bloqué les négociations, faisant porter toute la charge des sacrifices sur le personnel non naviguant, continuent d’entraver le processus de sortie de cirse. Rappelons par ailleurs que ces mêmes pilotes ne s’étaient pas mobilisés pour le personnel au sol mis en cause dans cette affaire d’agression ! Cinq salariés d’Air France sont en effet sous le coup d’une procédure de licenciement pour des faits de « violence en réunion ». Onze autres salariés du personnel au sol ont par ailleurs été mis à pied. A aucun moment, ces procédures n’ont fait l’objet d’une protestation solidaire des syndicats de pilotes.
A l’origine des tentions qui secouent actuellement Air France, le plan de réforme dit « plan B », censé pousser plus loin les efforts de compétitivité du groupe. Faute d’accord avec les syndicats des pilotes, qui avaient bloqué les négociations par une grève de grande ampleur sur le plan Perform 2020, Air France a opté pour un plan alternatif de réduction de sa flotte très défavorable aux salariés au sol et en cabine, forcés de porter presque seuls les efforts de réforme du groupe. Le plan B envisage en effet 2900 suppressions de postes potentielles pour ces derniers, déjà largement défavorisés par l’austérité du plan Transform 2015.
Transform 2015 a permis des gains de productivité significatifs (moyennant une augmentation du nombre de jours travaillés, un gel des salaires, des plans de départs volontaires et une meilleure organisation du travail), une amélioration des résultats et a offert un retour à la profitabilité en 2015 après 7 années de pertes ainsi qu’une réduction de la dette d’Air France KLM (de 6,5 milliards d’euros en 2011 à 4,4 milliards d’euros fin 2015). S’il est admis qu’il faudra encore que le groupe se serre la ceinture pour rendre durable ces éclaircies, le plan B, échafaudé sur les cendres du plan Perform 2020, apparaît moins favorable que ce dernier pour les personnels.
Les pilotes d’Air France épargnés depuis plus de 30 ans
Avec une rémunération de 17 000 euros par mois en moyenne, les pilotes de ligne sont largement perçus comme un corps de métier privilégié, qui a su conserver ce statut à force de chantages à la grève (paralysant de fait toute l’activité du groupe). Leur appel à la grève illustre d’ailleurs cette stratégie à merveille : bloquer toute activité et faire perdre une fortune au groupe afin de se tailler la part du lion. Seulement le personnel au sol et en cabine ne pourra encaisser infiniment toutes les charges imposées par la crise du secteur sur son seul dos. L’augmentation proposée par le groupe dans le plan Perform initial était de 100h par cycle – ce qui représente près d’un mois supplémentaire par an. Si cet effort est considérable, il vient du fait qu’un sacrifice sérieux n’a été consenti par les pilotes depuis plus de 30 ans, alors que l’intégralité de la concurrence européenne a dû en passer par là.
En refusant de participer à hauteur raisonnable à la restructuration du groupe, les pilotes ont créé un blocage sans précédent dans l’histoire d’un groupe qui jusqu’alors s’était distingué par la qualité de son dialogue social. Mais ce que les syndicats de pilotes ne semblent pas comprendre c’est qu’en cas d’échec de ces négociations, la crise que connait le groupe persistera, et il sera de plus en plus vulnérable à la concurrence. Les pilotes de KLM ont d’ailleurs exprimé leur inquiétude quant à l’attitude peu constructive de leurs collègues français, et ont demandé aux syndicats français « d’aller de l’avant. » De fait, pour les pilotes, sans mesures de productivité structurelles, des licenciements semblent inévitables, même si la direction fait tout ce qui est en son pouvoir pour les éviter. Ces licenciements affecteront tous les acteurs du groupe, et s’ils ne sont pas contrôlés, l’hémorragie pourra s’avérer tragique.
L’idée n’est évidemment pas ici de nier aux pilotes d’Air France leur droit à la protestation, au contraire, tant il est vrai que ce droit, quant il est intelligemment revendiqué, peut mener à d’importantes avancées. Il s’agit plutôt de s’étonner de l’attitude de syndicats de pilotes (d’ailleurs souvent déconnectés de la majorité de leur corporation) qui prétendent se battre pour des privilèges d’un autre temps, au mépris de l’intérêt du « petit » personnel. Ce militantisme égoïste, à géométrie variable puisqu’il se fait au détriment de l’intérêt d’une majorité de salariés, a quelque chose de détestable.