Qui se souvient que l’annonce de la candidature d’Emmanuel Macron en 2016 avait eu lieu à Bobigny, en Seine Saint-Denis ? Un symbole qui paraît aujourd’hui bien loin, alors que le candidat, devenu depuis Président de la République, ne cesse de droitiser son discours. Une surenchère dans les mots couplée à un véritable abandon des quartiers populaires sous son quinquennat.
Le gouvernement essaie-t-il d’acheter la paix sociale dans les banlieues alors qu’il continue à leur tourner le dos ? Afin de combattre « les difficultés hors norme » de la Seine–Saint-Denis, le Premier ministre Édouard Philippe a présenté, jeudi 31 octobre, une batterie de 23 mesures. Élément phare, le gouvernement veut notamment s’attaquer à l’important turn-over des agents de la fonction publique d’État en octroyant une prime « de fidélisation » de 10 000 euros aux fonctionnaires demeurant au moins cinq ans en poste dans le département.
Une mesure symbolique, qui masque mal une réalité simple : le 93, c’est 30 % de taux de chômage, un habitant sur trois qui vit sous le seuil de pauvreté. Et parallèlement, le même département accueille les sièges sociaux de nombreux géants du CAC 40 comme Veolia, Vinci, BNP Paribas, SFR… Sans compter l’aéroport de Roissy-CDG. C’est ce décalage qui rend la situation sociale explosive dans le département et qui rappelle crûment à quel point la question de la redistribution des richesses est essentielle.
À ce titre, le département de la Seine Saint-Denis est révélateur de l’impuissance du politique : cette dernière décennie, pas moins de 2 700 politiciens, législateurs, hauts fonctionnaires ou ministres s’y sont rendus défendre telle ou telle mesure. Pour quel résultat ?
La banlieue, c’est quoi ?
Ce que les médias et les responsables politiques nomment « la banlieue », c’est 1500 quartiers prioritaires en France, où vivent 4,8 millions de Français, soit 7 % de la population. De plus, 76 % des habitants de ces quartiers vivent dans un logement social et 40 % vivent dans la pauvreté contre 16 % de l’ensemble de la population. La banlieue, c’est donc un territoire géographique, mais aussi un territoire social : c’est l’accumulation de difficultés économiques en périphérie des grandes métropoles qui fait d’un quartier « une banlieue ». Enfin, c’est aussi un territoire mental, solidement ancré dans les représentations collectives : selon un sondage Odoxa, deux Français sur trois pensent que la plupart des jeunes de banlieue « se comportent mal ». Un avis partagé par la moitié des habitants des mêmes quartiers !
Cependant, les mesures promises il y a quelques semaines par le gouvernement pour venir en aide à ces territoires s’apparentent à une forme de « cache-sexe » : dans les discours et les actes, c’est plutôt une politique d’abandon, voire un véritable rapport de force, qui semble avoir la préférence des autorités. La récente polémique sur le voile et les propos du ministre Jean-Michel Blanquer ont creusé le divorce entre le gouvernement et les quartiers populaires.
En 2017, ces derniers représentaient un vivier de voix pour un candidat « social-démocrate » qui reprenait en partie les mots de la gauche. Aujourd’hui, avec 2022 à l’horizon, les banlieues représentent surtout un sujet de débats et de polémiques utiles pour resserrer l’électorat bourgeois urbain autour de son Président, tout en siphonnant quelques voix aux Rassemblement National, l’adversaire annoncé au second tour.
Un abandon symbolisé par la cascade de départs au Conseil présidentiel des villes. Conçu à l’origine comme une « courroie de transmission » entre l’Élysée et la société civile des quartiers, l’organisme a vu ces dernières semaines plusieurs de ses membres emblématiques claquer la porte. La polémique autour du voile dans les sorties scolaires et la position du ministre de l’Éducation Nationale ont été à ce titre un véritable point de rupture : « je démissionne, car je ne puis siéger dans une institution qui voit les humiliations que subissent les habitants des quartiers non pas pour l’endroit d’où ils viennent, mais bien pour ce qu’ils sont tout simplement » a déclaré l’humoriste Yassine Belattar dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron. « Que ce gouvernement laisse s’installer des débats qui n’ont pas lieu d’être m’a profondément choqué » a déclaré pour sa part Mohammed Mechmache, figure associative des quartiers populaires depuis les révoltes urbaines de 2005.
« La promesse initiale était que nous aurions la possibilité de rencontrer le président en séance plénière trois ou quatre fois dans l’année », explique un autre membre du CPV, Majid El Jarroudi à la tête de l’ADIVE, l’Association pour la diversité entrepreneuriale. « Or nous ne l’avons plus vu depuis le lancement du CPV. Nous n’avons donc pas pu jouer le rôle d’alerte que nous aurions dû jouer. Les premiers touchés par tous ces débats inutiles sont les habitants des quartiers prioritaires ».
EuropaCity : se faire « une virginité écolo sur le dos de la banlieue » ?
L’entretien accordé à Valeurs Actuelles au mois d’octobre ne laisse d’ailleurs aucun doute : pour 2022, le gouvernement a mis le cap à droite toute. Un revirement pour lequel les banlieues ont été jetées par-dessus bord.
Sur la question du voile, la banlieue sert d’épouvantail électoral. En économie, elle alimente le discours néolibéral sur « l’assistanat » qui « coûte un pognon de dingue ». Et sur l’écologie elle permet, à moindres frais, de verdir un mandat pour l’instant guère encourageant pour la protection de l’environnement.
Évidemment, EuropaCity c’était à l’origine l’expression d’un capitalisme marchand débridé complètement dépassé. Mais, sous la pression de l’État et surtout des différents collectifs mobilisés, le groupe Ceetrus (filiale d’Auchan) avait été contraint de revoir à plusieurs reprises sa copie : abandon de la piste de ski d’intérieur, division par trois de la surface commerciale, compensation de l’artificialisation des 80 hectares en création de parcs en Île-de-France, plantation de 4 000 arbres sur le site, objectif zéro carbone… Le rapport de force, en faveur des écologistes, avait forcé le groupe Auchan et Europacity à transformer positivement le projet.
Mais au lieu de continuer à accroître la pression pour forcer les acteurs économiques à rehausser leurs objectifs environnementaux, le gouvernement a préféré totalement abandonner EuropaCity. Et du même coup, abandonner les 10 000 emplois attendus dans tout le Val-d’Oise et la Seine–Saint-Denis. Une bonne nouvelle ?
Cela dépend pour qui. Pour les habitants de Gonesse et de Roissy, certainement pas. Pour les candidats LREM aux municipales qui devront aller chercher les voix des électeurs d’Europe Écologie les Verts, probablement. « La déception est immense, on sent un mépris du gouvernement par rapport à la banlieue, on a l’impression que le président nous marche dessus juste pour dire qu’il fait de l’écologie. L’est du Val-d’Oise, c’est le parent pauvre de l’Île-de-France. On n’a rien, pas de transports, pas de métro, on est abandonnés », a réagi Kamel Slimani, membre du Collectif des vrais gens, créé par les habitants du département qui avaient placé leurs espoirs dans EuropaCity. Même son de cloche du côté d’Ali Soumaré, conseiller socialiste de Villiers-le-Bel, pour qui « on se fait une virginité écolo sur le dos de la banlieue. Tout le monde sait que ce n’est pas EuropaCity qui va siphonner la planète, on parle de terres archi-polluées, entre des autoroutes et des aéroports. Cette décision, c’est une belle hypocrisie », peste-t-il.
Un élément supplémentaire dans le divorce entre le pouvoir et les banlieues.