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Depuis sa candidature aux primaires socialistes en 2012, Arnaud Montebourg a bien changé. Ancien bras gauche du Parti socialiste, il est aujourd’hui plus connu pour ses copinages avec industriels et hommes d’affaires que pour ses mesures sociales et sa lutte contre la mondialisation. Entre Martin Bouygues et le Qatar, l’argent et la popularité semblent être devenus les nouvelles priorités du récent ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique qui enchaînent les contradictions plus vite que son ombre sans une once de remise en question.

SFR, cible de l’establishment à la Montebourg

« Je ne soutiens pas Bouygues, je ne soutiens personne ». Au micro de France Inter le 2 avril dernier, Arnaud Montebourg tentait de convaincre comme il pouvait les auditeurs de son impartialité dans l’affaire de la vente de SFR, mais ses déclarations hésitantes n’ont trompé personne. Alors que l’opérateur a choisi de négocier exclusivement avec Numericable, au détriment de Bouygues Telecom, Arnaud Montebourg s’est en effet illustré ces dernières semaines par un soutien inconditionnel pour son ami Martin Bouygues.

Officiellement, celui-ci assure que tout ce qui l’intéresse, « c’est la guerre des prix dans le secteur des télécoms ». « Un retour à trois opérateurs plutôt qu’à quatre » serait selon Arnaud Montebourg préférable pour les consommateurs et favoriserait une baisse des prix. Alors même qu’il vient d’être élu ministre de l’Économie, ses arguments qui malheureusement font figure de véritable non-sens économique surprennent. « Sur le plan économique, la démonstration d’Arnaud Montebourg n’est pas logique. Toute concentration vise à maximiser les profits » précise à ce sujet l’économiste en chef au cabinet de conseil Ecocell, Pascal de Lima. L’exemple de l’Autriche est clair : lorsque le marché est passé de quatre à trois opérateurs, certains forfaits ont augmenté de plus de 18 % alors même que les actionnaires se remplissaient les poches. Arnaud Montebourg, « l’homme de gauche » des gouvernements Ayrault et Valls, en flagrant délit de copinages avec Martin Bouygues et ses amis actionnaires ? Personne n’y aurait cru l’espace d’un instant en 2012, aujourd’hui cela ne semble pas choquer grand-monde.

Montebourg et le Qatar : à quand les noces ?

Les rebondissements mettant à mal la crédibilité d’Arnaud Montebourg n’en finissent pas de se multiplier. Depuis quelques jours, Martin Bouygues, qui a apparemment la défaite difficile, demanderait une aide financière au Qatar afin de compléter son offre pour SFR (à laquelle participent déjà la Caisse des Dépôts, le « bras armé financier de l’état »). Le soutien d’Arnaud Montebourg prend alors une nouvelle ampleur. Après le non-sens économique, ce dernier se retrouve aujourd’hui dans la contradiction la plus totale avec ce qui a pourtant fait son succès : le made in France. Non content de critiquer Numericable pour ses investisseurs étrangers alors même que Bouygues vend fréquemment des actifs dans d’autres pays, il soutient désormais un projet de rachat d’un des opérateurs les plus importants de France peut-être bientôt en partie financé par le Qatar. France Inter blaguait à propos d’un possible rachat de la Tour Eiffel par le Qatar le 1er avril dernier, Arnaud Montebourg et Martin Bouygues, eux, sont tout à fait sérieux.

Les relations entre le Qatar et Arnaud Montebourg ne datent pas d’hier. Déjà en 2012, l’ancien fervent défenseur de la démondialisation vendait son âme au diable et approuvait la création d’un fonds qatari de 100 millions d’euros pour les banlieues françaises. Alors même que les islamiques fanatiques semaient la terreur au Mali et que les djihadistes frappaient en Syrie, le voilà qui embrasse le Qatar à pleine bouche. Plébisciter le made in France et dans le même temps ouvrir grand les portes de la France à une pétromonarchie islamique fournisseuse officieuse d’armes pour les courants salafistes et islamiques radiaux apparemment pas très au fait de l’existence des droits de l’Homme. Critiquer le patron de Numericable Patrick Drahi pour sa résidence à l’étranger et soutenir ostensiblement le projet de Bouygues potentiellement financé une nouvelle fois par le Qatar. Arnaud Montebourg est aujourd’hui le porte-étendard d’un système basé sur un establishment qu’il abhorrait pourtant en public il y a à peine deux ans. Comme quoi, l’argent n’a pas d’odeur, mais il a définitivement le pouvoir de changer les hommes.

MélanieB

Politique

bouygues_telecom.png Ce n’est un secret pour personne, Bouygues veut faire main basse sur SFR. Le dirigeant du groupe s’est fendu d’une visite à l’Elysée, pour s’ouvrir auprès de François Hollande de ses intentions véritables. Martin Bouygues l’a martelé, en présence notamment d’Arnaud Montebourg, il n’y aura pas de destruction d’emplois si Bouygues et SFR s’allient. Une annonce que personne ne semble croire.

Bouygues souhaite acheter SFR pour ne pas se faire écraser par la concurrence sur un marché où il n’a pas investi depuis des années. L’autre enchérisseur, c’est Numericable, qui aimerait bien s’allier à SFR pour doper ses offres intégrées, puisque le câblo-opérateur est absent du segment mobile.

On a donc deux candidats, dont l’un, Bouygues, fait peu ou prou la même chose que SFR, et l’autre, Numericable, s’inscrit en contraste. Si le second mariage serait à même d’instiller un peu d’oxygène dans le paradigme, le premier, s’il venait à se faire, aurait pour effet d’entrainer un repliement morbide des deux opérateurs sur eux-mêmes. Avec les dommages collatéraux qu’on imagine.

Songez. En termes de postes, entre SFR et Bouygues Telecom, les doublons sont partout. Mobile, ADSL, Triple Play, myriade de boutiques, les deux opérateurs font la même chose. Or à quoi bon avoir deux réseaux 2G, 3G ou 4G sur le territoire ? A quoi bon multiplier les boutiques identiques ?

Aucun intérêt, d’autant que Bouygues ne peut se le permettre. La dette du groupe a presque doublé depuis 2010, pour culminer à 4,4 milliards d’euros. Bouygues Telecom ne génère plus de cash, et a annoncé que son cash flow serait de nouveau nul en 2014. Bref, les affaires ne sont pas au top et la holding ne peut se permettre d’accumuler les « poids morts ».

En fait de « casse sociale », comme le prophétisait en janvier dernier Fleur Pellerin, c’est un véritable désastre sur le plan de l’emploi qui pend au nez de SFR et, plus globalement, des télécoms, si le montage de Bouygues est accepté. En balayant tous les postes doublons pour diminuer les coûts et augmenter sa marge, Bouygues tirerait un trait sur 3 réseaux mobiles nationaux, un réseau ADSL, et 700 boutiques, ainsi que sur un grand nombre de postes stratégiques.

9 000. C’est le nombre d’emplois qui seraient supprimés en interne, si Bouygues venait à faire passer par dessus le bastingage l’ensemble de la masse salariale de SFR. Un chiffre auquel viendraient encore se greffer les milliers de prestataires techniques employés par la filiale de Vivendi en sous-traitance. Alors peu importe, au fond, la valeur de l’offre faite pas Bouygues dans son ensemble, elle est intolérable sur le plan de l’emploi, et ce paramètre doit suffire à la disqualifier.