EconomiePolitique

« Ca va mieux » : sur le front du chômage, et pour le second mois consécutif, les chiffres nationaux sont à la baisse. Après une chute de -1,9% en septembre, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A, c’est-à-dire sans aucune activité, a de nouveau reculé de -0,3% en octobre.

Une embellie nationale qui ne profite pas à l’Ile-de-France. En région parisienne, le taux de chômage augmente : il a connu une légère progression de 0,1% au mois d’octobre. Il y a ainsi plus de 600 000 chômeurs franciliens de catégorie A. Et plus d’un million d’inscrits à Pole Emploi, toutes catégories confondues. Si la hausse reste contenue, elle n’en est pas moins alarmante. La situation commande d’actionner tous les leviers pour aider les chômeurs à retrouver le chemin de l’emploi. Y compris, bien entendu, celui du Grand Paris. Et pourtant…

Le Grand Paris Express ne profite pas aux emplois locaux

Des opportunités d’emplois, il y en a en Ile-de-France. Et avec les chantiers du Grand Paris Express, le futur métro francilien, il y en aura encore plus. Le carnet de commandes, doté d’un investissement de 30 milliards d’euros, est impressionnant : 205 kilomètres de lignes, 69 nouvelles gares, des infrastructures de transports, de nouveaux équipements, des logements, des services… Autant de débouchés prometteurs, synonymes de formations et d’emplois pour des milliers de jeunes souvent peu qualifiés.

Les jeunes Français ou Franciliens pourraient bien, pourtant, se voir préférer une main d’oeuvre étrangère. La Société du Grand Paris (SGP), qui a déjà commencé à attribuer les lots du futur métro, pourrait en effet avoir recours à des entreprises étrangères – et ce alors que les entreprises de bâtiment et travaux publics françaises sont déjà à la peine depuis 2008. Et ces entreprises étrangères n’ont pas caché qu’elles entendent elles-mêmes recourir à des travailleurs détachés.

Autrement dit, les investissements du Grand Paris, qui sont en grande partie supportés par les contribuables français, pourraient bien ne pas profiter aux entreprises hexagonales ni à la main d’oeuvre locale. Et ce en vertu du droit de la concurrence européen, qui contraint les donneurs d’ordre, comme la SGP, à ouvrir les marchés publics aux entreprises européennes. Or il n’est un secret pour personne que l’absence d’harmonisation communautaire des charges sociales et des normes de qualité offre un avantage compétitif certain aux entreprises originaires de pays moins rigoureux que la France. En d’autre termes, il s’agit d’une prime au moins disant social.

La concurrence est d’autant plus faussée que ces entreprises étrangères font appel à des travailleurs détachés, à la faveur de la fameuse directive du même nom. Une directive européenne qui permet à une entreprise de faire travailler en France des ouvriers, venus d’Europe du Sud ou de l’Est, tout en s’acquittant de charges sociales bien moindres dans leurs pays d’origine.

Prenant conscience de cette concurrence déloyale, plusieurs élus franciliens sont montés au créneau pour défendre les emplois locaux. A l’instar du maire de Yerres, Nicolas Dupont-Aignan, qui demande à ce que « les critères sociaux, économiques, techniques et environnementaux (soient) davantage pris en compte » que celui du moins disant budgétaire, afin que le Grand Paris donne « des perspectives de développement et d’emplois à des zones urbaines enclavées et délaissées, où règne le chômage de masse ». Ou du conseiller de Paris, Alexandre Vesperini, qui demande à la SGP « d’assumer (…) une préférence territoriale » afin « qu’une partie minimale des chantiers soit réservée à des entrepreneurs locaux ». Et de dénoncer une « dérive technocratique de la SGP (qui) tend à devenir une machine à distribuer des bons de commande, sans réelle vision politique ». Des accusations qui collent à la SGP.

Le Grand Paris, « un monstre technocratique »

Que reste-t-il de l’esprit qui a présidé au Grand Paris ? Voici, en substance, la question que se posent avec insistance bon nombre d’acteurs proches du dossier ou spécialistes des problématiques d’aménagement. Aux promesses d’un projet métropolitain bâti en concertation avec le public, par et pour les usagers, a succédé une technostructure qui n’arbitre plus que les luttes politiciennes et les attributions de chantiers.

Pour le géographe Michel Lussault, le Grand Paris « s’est éloigné du grand projet d’intérêt général auquel nous aspirions ». Il déplore « une opportunité gâchée de renouer le pacte politique entre les élus et les habitants — qui attendent toujours qu’on prenne vraiment en considération leurs paroles et leurs besoins ».

Le Grand Paris, un projet et une ambition confisqués aux premiers concernés, les Franciliens : c’est le triste constat que relève également l’architecte et urbaniste Dominique Perraut, pour qui « nous, grand-parisiens, sommes tous des métropolitains de fait depuis des décennies. C’est donc autour et à partir de cette réalité qu’une pensée de la métropole doit être construite ». Et non en se contentant de se conformer aux exigences européennes en matière d’ouverture des marchés publics.

Pour le député François Asensi, la Métropole du Grand Paris est devenue « un monstre technocratique », où la concertation est absente.

« Alors oui, conclut Michel Lussault, on peut être attristé par ce grand cadavre à la renverse qu’est devenu le Grand Paris. Mais on peut surtout déplorer la disparition de l’espoir de penser et de gouverner autrement cette région urbaine sans pareille ». En prenant en compte d’autres facteurs que les seuls critères budgétaires, la SGP contribuerait à redonner au Grand Paris ce supplément d’âme qu’il semble avoir déjà perdu.